Les brèves

Récits de certains faits

Marc-Olivier Padis, créée le 08-09-2024

"Pour cette rentrée littéraire, ma curiosité m’a attiré vers cet ouvrage de Yasmina Reza. Les « faits » du titre sont de deux natures différentes. D’une part, l’auteure a suivi beaucoup d’audiences de procès d’assises, et d’autre part, elle raconte des évènements de la vie quotidienne, des rencontres, des dialogues, de petits morceaux de vie. La juxtaposition est réussie, j’ai trouvé le livre très fort. Quand elle parle des procès, il ne s’agit pas de compte-rendus d’audience, pour relier le contenu des audiences à des phénomènes sociétaux, mais au contraire l’auteure affirme tranquillement un discours personnel et littéraire, face au discours judiciaire. Ce faisant, elle montre à quel pont un point de vue subjectif peut changer les perspectives, en parallèle du récit construit par l’institution judiciaire. "








Retour à Lemberg

Nicolas Baverez, créée le 21-07-2024

"J’ai deux recommandations qui complèteront la lecture de Jean-Luc Mélenchon, et lui serviront peut-être d’antidote. D’abord, cette bande dessinée tirée du livre à succès de Philippe Robert Sands. Lemberg est aujourd’hui en Ukraine et s’appelle Lviv. Sands vient y donner une conférence, et à cette occasion, il fait l’histoire de deux juristes juifs qui ont inventé les notions de crime contre l’humanité et de crime de génocide, qui se trouvent être tous deux originaires de cette ville. L’histoire est extrêmement intéressante, et malheureusement encore très actuelle."


Les dieux ont soif

Nicolas Baverez, créée le 21-07-2024

"Et puis l’excellente réédition de ce livre d’Anatole France. Grand figure de la gauche, Anatole France avait été excommunié par Aragon et les surréalistes, et était admiré par Joseph Conrad. Milan Kundera expliquait que c’était à travers la lecture de ce livre qu’il avait découvert le fonctionnent interne d’une dictature. Le livre est excellent, il se passe pendant la Terreur ; on suit un peintre raté, qui devient un juge fanatique au sein du tribunal révolutionnaire, avant de finir lui-même sur l’échafaud. "


La crise de l’intelligence

David Djaïz, créée le 21-07-2024

"Je vous recommande ce livre du sociologue Michel Crozier, sociologie que j’admire beaucoup, l’un des pères de la sociologie des organisations. On le connaît pour ses analyses de la bureaucratie, de la société bloquée … En 1995, au moment du plan Juppé, il écrit ce petit pamphlet avec Bruno Tilliette, dans lequel il revient sur son parcours : « voilà trente ans que je dissèque la société française, sa bureaucratie et ses blocages, mais en réalité je n’avais pas vu le cœur du problème. Ce qui pourrit véritablement la France, c’est la formation intellectuelle de ses élites. Trop individualiste, trop darwinienne, trop orientée sur la production de solutions brillantes par des grands esprits qui ont eu de grands diplômes à 20 ans, incapables d’entraîner les gens, ou de comprendre comment raisonne la diversité des acteurs dans une organisation ou dans la société ». La lecture de ce petit livre de colère, très intelligent, sifggné de l’un de nos meilleurs sociologues, est à mon avis très urgente pour tous les dirigeants français qui aspirent à gouverner le pays. "


Impossibles adieux

Lucile Schmid, créée le 21-07-2024

"Je vous recommande ce roman, de la romancière et poétesse coréenne Kang Han. Il nous plonge dans l’histoire de la Corée en 1948-1949, au moment où a lieu un grand massacre sur l’île de Jeju, au sur de la péninsule. Le roman est extraordinaire, car l’histoire se passe ne hiver, dans une ambiance où la neige ne cesse de tomber, et où les fantômes de ceux qui ont été massacrés vont resurgir progressivement, autour d’une famille dans le déni de ce massacre. Ces impossibles adieux sont les adieux aux disparus, ceux dont on ignore le sort (notamment où sont leurs corps). Ambiance incroyable où le rêve et la réalité ne cessent de se mêler, autour de la narratrice qui fait le voyage dans l’île pour des raisons très anecdotiques (nourrir le perroquet d’une de ses amies hospitalisée). Le roman nous montre aussi comment les démocraties peuvent aussi se construire sur le déni historique. Aussi intéressant que bouleversant. "


Hommage à Benoît Duteurtre

Philippe Meyer, créée le 21-07-2024

"Je veux rendre hommage à Benoît Duteurtre, mort d’une crise cardiaque à 64 ans, mercredi dernier et dont Etienne de Montéty a si justement écrit dans le Figaro qu’« entre mille dons, musique, littérature, il avait celui de l'amitié» Ami, il le fut de Sempé et de Kundera, de Philippe Muray et de Jean Clair, Il était studieux mais sans l’afficher, courageux, mais sans en faire parade. Il fit rendre gorge au Monde qui, ne supportant pas sa critique de la musique contemporaine française et du pontificat de Pierre Boulez, l’avait comparé à Robert Faurisson. Le Monde, aussi rancunier que la mule du pape, a passé sous silence cet épisode dans l’articulet d’une parfaite platitude qu’il a consacré à la mort du producteur d’Étonnez-moi Benoît. Son ironie était à la fois cruelle et de bonne humeur, qu’il brocarde l’époque où qu’il tourne la maire et la mairie de Paris en ridicule. Dans les choix qui lui ont valu tant d’auditeurs heureux à France Musique, tout était sincère et il réussissait à naviguer non à contre-courant, mais sur des cours d’eau à l’écart. Il se sentait du Havre et des Vosges, du pays reçu et du pays choisi et il savait en parler et les faire découvrir. L’incrédulité a rendu encore plus navrante l’annonce que son cœur l’avait lâché."