Les brèves

Survivre : une histoire des guerres de Religion

David Djaïz, créée le 13-10-2024

"J’avais déjà recommandé le livre de Jérémie Foa consacré au massacre de la Saint-Barthélémy. Il vient d’en commettre un autre, que je vous conseille vivement aussi. Là encore, fidèle à la tradition de la sociologie de Chicago, tout est raconté à hauteur d’homme et de situations. L’auteur nous livre ici une description magistrale de la vie au quotidien des guerres de religion, et dans la guerre civile en général. La guerre civile, c’est un effondrement fiduciaire : on ne peut plus faire confiance à quiconque, ni aux lieux censés être des abris. La chambre à coucher, et même le lit, peuvent devenir le tombeau, on ne peut plus faire confiance aux mots, dont le sens peut varier du tout au tout d’une faction à l’autre. On comprend parfaitement pourquoi Montaigne écrit ses Essais dans un tel contexte : le monde est devenu « une branloire pérenne », un endroit où l’on ne peut plus se fier à rien. En creux, on comprend aussi pourquoi l’Etat français absolutiste du XVIIème siècle a joué ce rôle de stabilisateur, jusque dans la langue avec l’Académie française. Le livre est magnifique, il s’agit d’une nouvelle perspective sur les guerres de religion."


Le paradis des fous

Nicole Gnesotto, créée le 13-10-2024

"Pour moi, un roman américain de Richard Ford. Cet auteur nous raconte depuis près de quarante ans les aventures de son personnage, Frank Bascombe, agent immobilier, représentant typique de la classe moyenne américaine, doté d’un humour noir et d’un sens de l’auto-dérision ravageurs. Dans ce livre-ci, il a 74 ans, retrouve son fils de 47 ans, qui vient d’apprendre qu’il est atteint d’une maladie incurable. Tous deux décident de faire un voyage ensemble, un road-trip à travers les Etats-Unis. Mais les Etats-Unis moches : les motels miteux, le kitsch, le banal, le vulgaire. Drôle, féroce, ce voyage nous dévoile petit à petit la déliquescence de la middle class américaine. Un régal."


Ma Comédie-Française : une histoire intime de la Maison de Molière

Philippe Meyer, créée le 13-10-2024

"Aliette Martin nous fait découvrir « sa » Comédie-Française qu'elle fréquente depuis ses 6 ans. Dans l'ombre pendant quarante ans, de Pierre Dux à Eric Ruf, elle était le métronome de cette maison, chargée d’abord d'assister la direction artistique puis la coordination de la salle Richelieu. Au rythme de ses souvenirs, elle nous emmène aux côtés des metteurs en scène, des comédiens et des administrateurs. « J'ai beaucoup appris à leur écoute. Les êtres humains sont faillibles, mais je peux témoigner de la sincérité, de la rigueur que chacun s'efforce d'avoir. » Et de la persévérance, comme celle dont fit preuve Francis Huster, héros tourmenté de Tchekhov dans la Mouette, qui essaya un nombre incalculable de fois d'accéder au poste d'administrateur du théâtre. Le ton est affectueux, volontiers humoristique, sauf quand Aliette Martin n'hésite pas à dire les choses qu'elle réprouve et ne cache pas les moments de tension. Les colères du metteur en scène Robert Wilson lors de la création des Fables de La Fontaine ou les affrontements entre l'administratrice Muriel Mayette-Holtz – première à faire rentrer au repertoire un auteur américain, Tennessee Williams – et le conseil d'administration où certains sociétaires sont présents. Cette écriture tendre, à la première personne, dévoile les rapports au sein de la troupe, décrit les spécificités de ce théâtre qui vont des acrobaties de l'alternance des représentations dans la salle Richelieu au fonctionnement de la Société des comédiens français et aux comités de fin d'année dont dépend le sort des uns puis des autres."


Katherine Mansfield : rester vivante à tout prix

Jean-Louis Bourlanges, créée le 13-10-2024

"Henriette Levillain est universitaire, elle avait déjà écrit une thèse remarquable sur Saint-John Perse. Ici, elle signe une biographie de Katherine Mansfield. Cette romancière est essentiellement connue pour un seul livre, La Garden Party (bien qu’elle en ait écrit d’autres). Foudroyée à 35 ans par la tuberculose, ce portrait est aussi celui de l’Angleterre qui passe de la période edwardienne à la modernité. Virginia Wolf disait de Mansfield que c’était la seule personne dont elle était littérairement jalouse. Le livre est d’une infinie tristesse, il raconte une oscillation pathétique entre l’idéal et la sensualité, entre la souffrance et la mort, entre la Nouvelle-Zélande, l’Angleterre et la France. Aussi intense que désespéré, mais très beau."


Grands diplomates : les maîtres des relations internationales de Mazarin à nos jours

François Bujon de L’Estang, créée le 06-10-2024

"Au risque de paraître un peu corporatiste, je voudrais recommander cet ouvrage paru au printemps. C’est un livre collectif (sous la direction d’Hubert Védrine), qui passe en revue, à la manière d’une galerie de portraits, un certain nombre de très grands architectes de la diplomatie à travers l’Histoire. On commence par Mazarin, et on chemine à travers les XVIIIème, XIXème et XXème siècles. Hubert Védrine signe une postface très intéressante, expliquant pourquoi aucun de ces grands diplomates ne pourrait advenir aujourd’hui, tant la diplomatie a changé. C’est une promenade très agréable et instructive, chaque portrait est rédigé par un auteur différent, dont certains sont de vrais maîtres … On y croise de vrais « pros », mais aussi des hommes d’Etat, comme Bismarck, Metternich, Disraeli … ou des figures moins connues mais tout à fait cruciales. Aussi intéressant que divers."



Dors ton sommeil de brute

Lucile Schmid, créée le 06-10-2024

"Je vous recommence ce roman de Carole Martinez, dont le titre est emprunté à Baudelaire. Le roman est totalement étrange, onirique, mystérieux. Il nous raconte comment tous les enfants du monde font au même moment, le même rêve. Ce faisant, le livre rend tangible cette question des générations futures dont on parle tant, car le rêve en question a une portée réelle, il dérange les parents, il dérange le monde. Ce roman onirique, dont l’héroïne est en Camargue, dans les marécages, vous emporte. Carole Martinez assume une langue magnifique, et montre comment le climat échappe aux négociations parce qu’il est aussi un nouveau langage planétaire."


Une sacrée envie de foutre le bordel

Marc-Olivier Padis, créée le 06-10-2024

"J’ai lu avec intérêt ce livre d’entretiens entre Jean-Louis Missika et l’entrepreneur Xavier Niel. Ce dernier prend peu la parole, on sait qu’il a créé la société Free, l’école numérique gratuite « 42 », un centre de start-ups … On est curieux de lire ce qu’il a à dire sur les évolutions du monde numérique. Nous sommes en pleine révolution technologique, avec le développements d’outils grand public d’IA, l’économie et la vie quotidienne s’en trouvent bouleversés, c’est donc intéressant d’avoir le regard d’un optimiste forcené, croyant dur comme fer à la théorie de Schumpeter de la destruction créatrice, sur la polarisation des opinions, sur la désinformation de masse … Un point de vue intéressant, avec un angle auquel nous ne sommes guère habitués. "


Le noeud démocratique : aux origines de la crise néolibérale

Nicolas Baverez, créée le 06-10-2024

"Deux recommandations pour moi cette semaine ; d’abord le livre de Marcel Gauchet, qui analyse la crise de la démocratie. Il en voit les origines dans la dilatation de l’économie, qui a tout envahi, et dans le modèle néolibéral, aujourd’hui largement caduque. Ce qui est intéressant, c’est que Marcel Gauchet ne cède pas pour autant au désespoir. Il montre en quoi les valeurs de la démocratie restent pertinentes, et comment on peut faire renaître une société démocratique au XXIème siècle."


Chefs-d’œuvre de la galerie Borghese

Philippe Meyer, créée le 06-10-2024

"Je voudrais m'insurger contre l'exposition au musée Jacquemart-André des chefs d'œuvres de la galerie Borghèse. C'est en effet un attrape-nigaud. Ayant été l'un de ces nigauds, je peux dire que l'absence d'un quota de visiteurs autorisés à entrer abouti à une telle concentration de personnes épaule contre épaule qu'on pourrait la comparer sans exagérer à l'agglomération des passagers de la ligne 13 du métro entre 17h et 20h. La société Culturespaces qui gère ce musée ne semble pas avoir d'autres buts que financiers et, pourvu qu’ils paient, elle n’éprouve aucune gêne à entasser les visiteurs dans des conditions qui défient même les règlements sanitaires applicables à l’élevage des volailles en batterie."


Ces Russes qui s’opposent à la guerre

Philippe Meyer, créée le 29-09-2024

"Je voudrais recommander Ces Russes qui s’opposent à la guerre, un livre collectif préfacé par Marie Mendras paru aux éditions Les Petits matins. « Un héros, écrivait Romain Rolland dans « Jean-Christophe », c’est quelqu’un qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas. ». Celui qui a créé le projet Iditie lessom, « Passer par la forêt » pour venir en aide aux déserteurs, celle qui, avec Memorial, cette association qui, jusqu’à sa dissolution par Poutine malgré son prix Nobel, rendait et continue à rendre aux Russes leur mémoire parce que sans cette mémoire, on ne peut pas constituer une société civile, celle qui a créé Kovtcheg, « L’Arche », pour accompagner les Russes en exil, celle qui anime la chaîne YouTube de la fondation anticorruption d’Alexeï Navalny, celui qui a fondé les éditions Freedom letters et qui, en publiant « Berceuse pour Mariopol », donne la mesure de l’abomination de la guerre de Poutine, tous, lorsque les artisans de ce livre leur demandent  : « qu’aimeriez-vous dire aux lecteurs européens ? » répondent qu’il existe dans toute la Russie des personnes qui ne se résignent pas à la tyrannie poutinienne et que soutenir l’Ukraine contre son agresseur, c’est les soutenir. Sergueï Gouriev, Grigori Sverdline, Alexandra Garmajapova, Inna Berezkina, Anastasia Chevtchenko, Irina Sherbakova, Anastasia Bourakova, Gueorgui Urushadze, Timofeï Martynenko, Natalia Arno, Lev Ponomarev, Helga Pirogova, et Olga Mikhaïlova, l’avocate de Navalny font ce qu’ils peuvent. Il me semble que nous pouvons leur donner le nom que leur réservait Romain Rolland, mais ce n’est pas ce qu’ils nous demandent ; ils nous demandent de réaliser et de dire qu’ils ne sont pas seuls et qu’en Russie et en dehors, il existe ce que Marie Mendras ne craint pas d’appeler une Résistance."


Un nouveau contrat écologique

David Djaïz, créée le 29-09-2024

"Je vous recommande ce livre signé d’Emmanuel Combet et Antonin Pottier, deux des meilleurs spécialistes de l’économie du climat. L’ouvrage est très important, il nous explique que l’approche technocratique de la transition, entièrement centrée sur les prix du carbone, les règlementations et les droits à polluer, ne peut qu’échouer. La transition écologique est tellement importante, et elle bouleverse tant de secteurs, de modes de production et de consommations et de relations sociales, qu’il faut revisiter tout le contrat social si on entend la réussir. Il faut inventer de nouvelles manières d’agir démocratiquement. Le livre en propose certaines, il regorge d’idées intéressantes. "