Les brèves

MÉMOIRES, Édition intégrale

Philippe Meyer, créée le 16-01-2018

"J’ouvre cette séquence des brèves en vous signalant avec une joie toute particulière, la reparution des mémoires de Jean-François Revel, dans la collection de poche Bouquins, aux éditions Robert Laffont. Ce sont les mémoires de Jean-François telles qu’ils avaient été publiés sous le titre, « Le Voleur dans la maison vide », augmentés d’un certain nombre de textes, dont le « bada » qu’il préparait, le bada étant comme le savent tous les Marseillais le petit supplément que le marchand de glace ajoute sur les glaces que vous avez commandées. Ce bada est tout aussi étonnant, traduit une vie tout aussi extraordinaire que celle de Jean-François Revel. Je pense que les gens qui disent que personne n’est irremplaçable n’ont jamais connu Jean-François Revel. C’était un personnage tout à fait extraordinaire, qui était polyglotte, qui lisait les journaux dans six langues, ce qui explique la qualité de ces éditoriaux toujours fondés sur des informations Il avait un goût qui allait de la cuisine à la peinture, à la musique, et je ne parle même pas de la littérature et de la philosophie (son Histoire de la philosophie est, de tous ses ouvrages, celui qui a la vie la plus longue dans les librairies). C’était un homme d’une exigence absolument constante, c’est lui qui m’a attiré vers le journalisme, qui m’a fait quitter mon métier. Travailler avec lui était exceptionnel : quand vous lui envoyiez un article, il vous le renvoyait non pas pour essayer de vous faire changer d’avis mais pour le corriger en vous disant « Mais non, là je comprends ce que tu veux dire, avec quoi je ne suis pas d’accord, mais tu ne le dis pas bien, il manque quelque chose, il y a une cheville qui manque, il y a un paragraphe, une explication, ce n’est pas clair. » Sans compter le temps qu’on pouvait passer avec lui à disputer des mérites respectifs de l’œuf mayonnaise et du hareng pommes à l’huile, sa capacité à connaître les endroits les plus étonnants pour y partager des repas. Je n’ai de ma vie rencontré quelqu’un qui ait une pareille largeur d’humanité, et une pareille largeur d’intelligence mais c’est aussi un écrivain. C’est un écrivain qui manie l’humour, l’ironie et quelque fois la férocité, avec une efficacité redoutable, Je pense à son portrait en six lignes d’Alain Minc. Si on faisait mon portrait dans cette tonalité là, j’irais directement chez l’armurier pour acheter comme dirait l’autre, une corde pour me pendre."


La Communauté

Michaela Wiegel, créée le 21-01-2018

"Je voulais recommander le livre qu’ont publié deux journalistes du Monde, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, qui est intitulé La Communauté, et j’espère que cela va vite être traduit en allemand parce que c’est un récit qui montre comment une ville, Trappes, a pu devenir la plus grande pépinière de djihadistes d’Europe. C’est surtout un récit qui montre le déni de tous les acteurs, de tous ceux qui pouvaient voir, mais qui ne voulaient pas voir, et c’est sans jugement moral en permanence, c’est vraiment très descriptif, et je trouve que cela mérite aussi d’être lu aussi ailleurs, nous sommes dans une autre étape de l’immigration, parce que cela montre ce qu’il ne faut pas faire pour ne pas arriver à une situation comme à Trappes."


Résistances : la démocratie à l’épreuve

Jean-Louis Bourlanges, créée le 21-01-2018

"Je voudrais recommander un bref livre de Laurent Cohen-Tanugi, Résistances : la démocratie à l’épreuve. Je crois que ce livre est intéressant. Il ne dit pas des choses totalement nouvelles, il situe pleinement la crise que nous vivons comme une crise grave, une crise de la démocratie avec ses traits classiques : le populisme, le complotisme, l’identitarisme, l’hyper individualisme, tout cela est analysé et dénoncé. Les causes sont mises en perspective, notamment la révolution numérique, la révolution géopolitique qui fait que l’occident est à la fois subverti dans ses intérêts, ses valeurs, ses principes, et se divise lui-même comme on l’a vu à travers des épisodes comme l’élection de Trump et le Brexit, donc tout cela est dit. Ce qui me paraît frappant, et qui m’a inquiété en lisant ce livre, cet excellent pro-européen qu’est Cohen-Tahugi, c’est un certain désenchantement. Cet homme qui a voté pour Emmanuel Macron, qui adhère au projet qui est actuellement celui du gouvernement, est en même temps profondément inquiet sur le devenir de tout cela. Son livre s’appelle Résistances et on a le sentiment qu’il y a quelque chose d’un peu nostalgique, il y a la nécessité de sauvegarder un héritage qui est très souvent méconnu - on parle de l’héritage de la Troisième République – mais l’héritage qui est souvent méconnu, c’est celui de l’humanisme occidental européen de la Quatrième République de l’époque de l’après-guerre, c’est cet héritage là que nous sommes en train de liquider, et Laurent Cohen-Tanugi regarde cette disparition, ce naufrage, avec un effroi qui je crois est justifié."


Les Napoléons

Lionel Zinsou, créée le 21-01-2018

"Je voudrais faire écho à une réunion qui a eu lieu à Val d’Isère ces deux derniers jours, et qui est celle des Napoléons. Napoléons c’est un réseau social réfléchissant sur l’innovation, qui fait interagir des artistes, des sportifs, des intellectuels, quelques patrons, quelques décideurs politiques, qui n’est pas du tout une organisation fermée et qui prend un thème, un thème d’hiver et un thème d’été. Ils se sont rendus un petit peu célèbre en invitant monsieur Barack Obama, début décembre, à être le premier orateur à Paris sur leur thème qui était celui des journées de Val d’Isère : la peur. La peur dans les décisions individuelles, la peur de l’entrepreneur, la peur de la disruption, la peur du changement du travail. Ils tiendront session à Arles à partir du 18 juillet sur un thème plus dangereux. : la vérité."




La Vie et rien d'autre

Philippe Meyer, créée le 16-01-2018

"Annette Becker : Une recommandation de film : La Vie et rien d’autre, de Tavernier dans Vous venez de parler. Je pense que c’est le film qui a le mieux senti ce que je n’appellerai plus une catastrophe mais une tragédie. C’est-à-dire qu’on sait que l’on va inévitablement vers une fin avec ces millions de morts, n’oublions pas ces millions de blessés qui restent dans la société, et cela me paraît tellement bien vu par Tavernier. Et en même temps à l’intérieur de cela, l’absurdité comme ces soldats coloniaux qui cherchent un soldat inconnu et qui ne doivent surtout pas le trouver noir ou jaune parce que la France est blanche. Tavernier a compris cela et en même temps le sens de l’honneur, le sens du dévouement pour le bien public, de cette jeune institutrice qui a travaillé dans cette gare car il fallait le faire elle n’avait pas le choix, mais elle est heureuse de l’avoir fait. Et c’est cela une tragédie, et je crois que Tavernier l’a vu au mieux."





François Régis Hutin, hommage

Jean-Louis Bourlanges, créée le 15-01-2018

"Puisqu’on est dans les cérémonies religieuses et les obsèques, je voudrais dire que je suis très ému : je suis allé à Rennes jeudi pour les obsèques de mon ami, François Régis Hutin, qui était le patron, le directeur de Ouest-France. J’ai été profondément impressionné par la cérémonie, parce que c’était vraiment là toute la Bretagne républicaine et démocratique qui était rassemblée. L’Eglise qui rendait hommage avec beaucoup de sobriété et de style à un homme qui était à la fois son défenseur, son protecteur et son serviteur. C’était un homme de conviction et de presse assez exceptionnel. Alors c’est une France qui disparaît peut-être, la France démocrate chrétienne, les Desgrées du Loû etc. tout ce qui s’est fait à la fin du XIXème et qui a dominé la Bretagne tout au long du XXème siècle, je ne crois pas qu’ils disparaissent mais c’est quelque chose d’essentiel. Et cet homme a représenté à la tête de son journal, la volonté d’un engagement éthique qui ne serait pas partisan : engagement chrétien très tourné pour l’abolition de a peine de mort, vers l’accueil des réfugiés, vers l’ouverture sur l’Europe, donc le contraire d’une vision un peu étriquée, un peu étroite qui je crois est celle de Sens Commun aujourd’hui. Et je crois qu’à la tête de son journal il incarnait cela, je terminerai par cela, je me rappelle au moment de Maastricht il avait réunit sa direction pour poser la question à sa rédaction, et non pas imposer la ligne du patron, de savoir s’il fallait s’engager pour ce traité européen. Peut-être avait-il tort, je pense qu’il avait raison, et la rédaction dans son ensemble avait accueilli cette idée et avait porté dans le plus grand journal français – quand on voit l’exiguïté de la victoire du oui sur le non cela a sans doute été assez décisif – mais ce qui est intéressant c’est que ce n’est pas par les voies de l’autorité hiérarchique mais par la voie de la mobilisation d’un corps social, qui était le cœur des rédacteurs de Ouest-France, que cette affaire a été faite, et je crois qu’il fallait rendre hommage à ce très grand patron de presse et à ce très grand humaniste. Son dernier article était « Paix pour Jérusalem », sa femme m’a dit qu’il est mort juste après."


Exposition : Cent portraits pour un centenaire, les soldats de Foch vus par Burnand

Philippe Meyer, créée le 15-01-2018

"François Sureau : Je voudrais recommander deux choses, que j’ai vues récemment et qui sont deux expositions. L’une est l’exposition Karmitz qui s’appelle Etranger résident, à La Maison Rouge, qui est une collection de photographies sur l’histoire du XXème siècle qui est absolument exceptionnelle, et l’autre aussi surprenante, c’est une exposition qui a lieu au Musée de la légion d’honneur, qui est en face du Musée d’Orsay à Paris, et cette exposition expose 100 portraits du peintre Eugène Burnand qui est un peintre assez extraordinaire, Eugène Burnand était un peintre vaudois qui a du mourir dans les années 30, fils de pasteur, et qui a fait des tableaux religieux qui marquent par leur grand réalisme, à tel point qu’il a été accusé d’être devenu inutile à l’époque de la photographie. Pour montrer que cela n’était pas le cas, il a demandé au maréchal Foch l’autorisation de peindre des portraits de soldats de la Grande Guerre. Ce sont des pastels qui sont peints de face comme si c’étaient des photographies. Il faisait venir chez lui ses modèles, le Malgache, le Slovène, le Serbe, le Monténégrin, le Français, le chasseur alpin, le légionnaire arménien, passaient des semaines retirés du front dans la villa d’Eugène Burnand qui les peignait. Ces 100 portraits de la Grande Guerre sont exposés dans une grande salle, ce sont toutes les nations alliées, représentées par des têtes d’hommes, et c’est une exposition absolument bouleversante."