Les brèves

Le musée de la Marine

Philippe Meyer, créée le 17-12-2023

"Georges-Bernard Shaw, lorsqu'il découvrait une nouvelle salle de concert, commençait sa critique en la décrivant : était-on bien assis, avec un espace suffisant pour les jambes, à quoi ressemblait le public, comment se conduisait- il ? Était-il connaisseur où suiviste, venu pour montrer ses toilettes et son statut social ou amateur de musique ? Conservateur ou ouvert ? Je commencerai donc cette brève sur le nouveau musée de la Marine que j'ai visité à Paris (il se déploie aussi à Brest, à Rochefort, à Toulon et à Port-Louis) par dire qu'il est devenu méconnaissable et si spacieux que les maquettes qui en ont toujours été la principale attraction peuvent être vues et détaillées dans un remarquable confort. De son public, je dirais que le jour de ma visite il était composé de Parisiens guère moins jeunes que moi, mais depuis aussi longtemps et qu'il se divisait en connaisseurs et en arpenteurs. Les connaisseurs font parler les objets, les arpenteurs les passent en revue. Et il y a de quoi voir : rien n'est oublié, ni les grands tableaux des ports, ni les expéditions scientifiques, ni la pêche ni le sauvetage, ni la plaisance, ni les porte-conteneurs, ni les paquebots, ni la traite négrière, ni l'archéologie sous-marine, ni la chasse à la baleine, ni les tempêtes, ni les instruments de navigation, ni la vie à bord, ni les fonctions de représentation si décoratives de l'arme qui s'est longtemps fait appeler la Royale. Afin de ne pas être compté parmi les arpenteurs, j'ajouterai une remarque à ce qui concerne les scaphandres dont on voit au Musée de remarquables exemplaires : le détendeur, qui permet à un plongeur de respirer l'air contenu dans sa bouteille de plongée à la pression à laquelle il évolue n’a pas été conçu pour aller sous l’eau, mais sous terre. Son concepteur, le lieutenant de vaisseau Auguste Denayrouze, réformé et rentré dans son Aveyron natal après être devenu poitrinaire au Tonkin, l’a réalisé à la demande d’un ingénieur des mines de Decazeville, Benoît Rouquayrol, afin de faciliter le sauvetage des mineurs pris dans un coup de grisou et risquant de périr d’asphyxie. Jules Verne lui rend hommage dans « 20.000 lieues sous les mers ». On voit par là qu’il est bon que les choses soient dites."


Clemenceau

Philippe Meyer, créée le 10-12-2023

"Ma Brève sera consacrée à une bonne nouvelle : à partir de janvier, Michel Winock rejoindra notre équipe. Tous ceux qui se désolent et s’inquiètent de la raréfaction de l’Histoire dans l’enseignement et de sa méconnaissance dans les analyses comme dans les proclamations politiques ne pourront que se réjouir qu’un historien de ce calibre ait une nouvelle occasion de faire entendre sa voix. Je profite de cette bonne nouvelle pour signaler l’existence en poche, dans la collection Tempus, de la biographie que Michel Winock a consacré à Clemenceau, « homme de gauche maudit par la gauche du moment que celle-ci s'est affirmée révolutionnaire ». « Son histoire nous rappelle écrit Winock qu'il a existé une autre gauche : la gauche républicaine. L'homme, ses convictions, ses combats sont sans doute d'une époque révolue mais ils s'inscrivent dans une tradition, dans une famille politique issue de la révolution de 1789 et ils illustrent un certain nombre de valeurs qui ne sont pas hors de saison : l'esprit démocratique, l'impératif laïque, l'amour de la patrie, l'individualisme philosophique doublé du réformisme social. » A propos de la célèbre formule de Clemenceau, « la révolution est un bloc », Winock rappelle dans quelles conditions elle fut prononcée. Celles d’un débat à la Chambre autour de l’interdiction d’une pièce, Thermidor,  de Victorien Sardou auteur qui prenait avec l’histoire autant de libertés que Ridley Scott, et qui prétendait réduire la Révolution à la Terreur. « Depuis 3 jours écrit Clemenceau tous nos monarchistes revendiquent à l'envi la succession de Danton ; quelles que soient vicissitudes, péripéties, injustices qui ont émaillé la décennie révolutionnaire il faut considérer son héritage comme un tout : la révolution est un bloc. » On voit par-là que l’on a raison de se méfier des petites phrases et de ceux qui les sortent de leur contexte."


Humus

Lucile Schmid, créée le 10-12-2023

"Je voudrais vous recommander ce roman de Gaspard Koenig, qui a reçu le prix Interallié et le prix Jean Giono. On pourrait penser à l’auteur en tant que candidat malheureux à la présidentielle de 2022, mais je trouve intéressant qu’il se soit passionné pour les lombrics, au point de nous expliquer que le salut viendra sans doute des vers de terre, tout en mettant en scène deux jeunes étudiants en agronomie, Kevin et Arthur, qui auront tous deux un destin tragique. Le roman est bien ficelé, bien documenté. Kevin est le transfuge de classe, qui se fera avoir par le capitalisme vert, et Arthur, venu d’un milieu bourgeois et qui essaiera (sans y parvenir) de restaurer des terres. Le tout se termine dans une apothéose du type « extinction rébellion » à la sauce romanesque. Je vous conseille cette lecture assez exotique."


La ville introuvable

Isabelle de Gaulmyn, créée le 10-12-2023

"Exotisme aussi de mon côté, puisque le livre que je vous propose vous emmène en Chine, à la fin de la dynastie des Xi. Il est signé de Hua Yu, écrivain formidable à qui l’on doit déjà Brothers. L’histoire se passe entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, c’est toute une fresque amoureuse, prenant place dans une Chine aux mains des seigneurs de la guerre, dans une très grande instabilité politique, et qui commence à s’ouvrir à l’influence occidentale. Amour, trahison, pardon, c’est un roman très beau et très picaresque. Dépaysement assuré pour les fêtes. "


Femme, rêve, liberté : 12 histoires inédites

Béatrice Giblin, créée le 10-12-2023

"Ce recueil a été publié à l’initiative de Sorour Kasmaï, qui a demandé à douze autrices iraniennes, soit de la diaspora, soit vivant dans le pays, d’écrire chacune sur la condition de la femme en Iran. Le livre est assez court, ces douze textes sont extrêmement émouvants. Ils donnent à voir ce que cela représente que de s’opposer à la théocratie iranienne, autrement dit la dictature. N’oublions pas le combat que mènent ces femmes, et les risques qu’elles prennent. "


Monument national

Matthias Fekl, créée le 10-12-2023

"Je vous conseille ce roman de Julia Deck, l’une des écrivaines de la petite « bande » des éditions de minuit, qui ont chacun leur style bien à eux, mais ont un trait commun : on sent qu’on met les pieds dans une situation assez affreuse dès les premières pages. Ici, il est clair que quelque chose de fondamental ne va pas, mais on ne sait ni quoi ni pourquoi. Parce que l’écriture est limpide, mais on sent que derrière la façade tout est en train de craquer. Et puis on est attiré progressivement dans la tourmente. Le roman se lit formidablement bien, et réussit à être très drôle malgré des moments véritablement épouvantables. Extrêmement réussi."


Humus

Nicolas Baverez, créée le 03-12-2023

"Il y a des romans qui arrivent à éclairer des grandes questions politiques. Il ne fait aucun doute que ce roman de Gaspard Koenig en fait partie, ni que l’écologie est l’une de ces grandes questions. On apprend beaucoup, et vous allez voir qu’on arrive même à se passionner pour les vers de terre, ce qui paraît a priori improbable. Cela nous rappelle, contrairement à ce que certains prétendaient, que tout le monde peut mentir, y compris la Terre."



L’Arménie : un génocide sans fin et le monde qui s’éteint

Jean-Louis Bourlanges, créée le 03-12-2023

"Et puis ce livre de Vincent Duclert, qui était déjà l’auteur d’un rapport remarquable sur le génocide au Rwanda. Il vient de publier cet excellent livre sur l’Arménie, cet « oublié au carré » de la crise du Moyen-Orient. Je suis très attentivement la situation en Arménie, et elle est réellement très inquiétante. Le déséquilibre des forces au profit de l’Azerbaïdjan est très grand, et à tout moment ce dernier peut essayer d’en finir. Nous devons être très vigilants, l’Europe commence à peine à se réveiller à ce sujet mais la torpeur était telle qu’il y a de quoi être très inquiet."


Diplomatie de combat

Marc-Olivier Padis, créée le 03-12-2023

"J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ces mémoires, du diplomate Jean-Maurice Ripert. Il vient de prendre sa retraite, et dans ce livre il détaille les différents combats de sa carrière, en faveur des droits humains. Il fut très actif pendant la guerre de Bosnie, la guerre d’Irak, mais aussi les catastrophes naturelles, au Pakistan etc. Il a achevé sa carrière par deux postes successifs à Moscou et à Pékin. Il est donc un excellent connaisseur de la situation russe et chinoise, qu’il décrit très bien, ainsi que la question d’un éventuel axe Pékin-Moscou, qui le laisse plutôt sceptique. "


Monténégro : la mer de pierres

Philippe Meyer, créée le 03-12-2023

"Richard Werly, notre ami suisse dirige pour un éditeur belge, Nevicata une collection baptisée L’Âme des peuples. De courts volumes d’une centaine de pages qui traite aussi bien de pays, la Suisse, l’Australie, le Liban, l’Indonésie, l’Afghanistan, que des régions, la Crète, le Danube, la Provence ou des villes Grenoble et, dans sa dernière livraison, Venise. Je me suis attaché au livre consacré au Monténégro sous la plume affectueuse de Jean-Arnault Dérens. Dans mon imaginaire, le Monténégro était un pays proche de la Syldavie. C’est plutôt - et c’est ce qui le rend intéressant - un concentré de ce qui se passe à l’est de ce qui fut le rideau de fer. On y rencontre - c’est l’aspect syldave- un improbable roi qui ne règne pas quoique sa généalogie royale remonte en ligne directe à 1516. Il a étudié aux Beaux-arts à Paris où il vivait tranquille jusqu’à ce qu’il entreprenne son premier voyage dans le pays de ses ancêtres où les foules se sont pressées pour le prier de les aider à sortir du marasme où les avaient plongées la sortie de la Yougoslavie, puis la guerre des Balkans. Depuis, il s’emploie à éviter que le Monténégro ne tombe dans les mains de ceux, mafieux russes ou hommes d’affaires français, qui voudraient en faire une sorte de Monte-Carlo et la base de différents trafics. Ce n’est pas un petit travail que de construire un État dans un pays soumis à de pareilles pressions, sans compter les difficultés qui tiennent aux divisons entre orthodoxes, musulmans et catholiques. Dans cette entreprise, l’adhésion à l’Union européenne à laquelle le Monténégro est candidat joue un rôle non négligeable et, là aussi, le minuscule exemple monténégrin permet de bien voir ce que l’arrimage au continent européen représente comme bouclier et comme promesse."