Les brèves

Chien 51

Nicole Gnesotto, créée le 11-09-2022

"Je vous recommande un des meilleurs livres que j’ai lus parmi cette rentrée littéraire (et j’en lis beaucoup !). Il s’agit du roman de Laurent Gaudé, publié chez Actes Sud. Le roman ne pourra pas avoir le Goncourt car Laurent Gaudé l’a déjà eu en 2004, mais je trouve que ce livre le mériterait. C’est un roman très étonnant, tout à fait différent de ce qu’il fait d’habitude, une espèce de fable moderne sur le malaise de notre civilisation ; avec les moyens de la science-fiction. L’histoire se passe à une époque futuriste, dans laquelle les fusions-acquisitions ne se font plus entre entreprises mais entre pays. Ici, c’est la Grèce qui en a été victime. Elle a disparu, absorbée par la GoldTex, l’entreprise la plus puissante de ce monde-là. Chien 51 suit un policier grec, qui travaille dans la partie la plus abominable de ce nouveau monde, et s’efforce de faire revivre la Grèce et les îles d’autrefois, parfois à coups de petites pilules. C’est un très grand roman, dont j’adore l’écriture, très dense, ronde, et mouvante. Et qui nous fait réfléchir sur le monde dans lequel nous vivons."


Picasso - El Greco

Richard Werly, créée le 11-09-2022

"Après avoir vu Devambez au Petit Palais, filez prendre le TGV pour vous rendre à Bâle. Vous pourrez y voir l’exposition Picasso - Le Greco au Kunstmuseum. Ne tardez pas cependant car elle se termine le 24 septembre. L’idée de mettre en miroirs deux peintres d’époques si différentes fonctionne très bien. Il est vrai que dans ce cas, c’est tout à fait justifié, car Picasso lui-même définissait Le Greco comme un de ses grands inspirateurs. L’exposition souligne ainsi l’extrême modernité du Greco. Je dois dire que de mon point de vue, l’exposition est plutôt à l’avantage de ce dernier. C’est un très beau moment artistique."


Tu seras mon père

Richard Werly, créée le 04-09-2022

"Je vous conseille ce roman, qui parle d’un pays bientôt dans l’actualité, à cause des élections législatives qui s’y tiendront le 25 septembre. Elles seront sans doute très importantes, puisque pour le moment c’est Mme Meloni, dirigeante du parti d’extrême-droite Fratelli d’Italia, que les sondages placent en tête. Ce roman éclaire beaucoup sur l’Italie et la psyché italienne. Il parle de la période encore très obscure des Brigades Rouges, avec ce qu’il y a eu d’idéal. Il parle aussi des pressions extérieures, des Etats-Unis, et de la CIA notamment. C’est cet imbroglio italien qui est ici traité, nous en verrons peut-être le résultat le 25 septembre prochain."


Salman Rushdie

Philippe Meyer, créée le 04-09-2022

"Au mois d’août dernier à New York, Salman Rushdie a été poignardé et grièvement blessé. A la suite de cette agression, un certain nombre d’intellectuels et d’éditeurs ont été interrogés par Le Monde. J’aimerais reprendre une citation de Salman Rushdie qu’a utilisée Françoise Nyssen : « La littérature se réjouit des contradictions et, dans nos romans et nos poèmes, nous chantons notre complexité humaine, notre capacité à être simultanément à la fois oui et non, à la fois ceci et cela, sans en éprouver le moindre inconfort. A cette époque où l’on vise à tout simplifier, cette magnifique complexité n’a jamais été plus importante. (…) On nous somme de nous définir de plus en plus étroitement, de comprimer notre personnalité multidimensionnelle dans le corset d’une identité unique, qu’elle soit nationale, ethnique, tribale ou religieuse. J’en suis venu à me dire que c’était peut-être cela le mal dont découlent tous les maux de notre époque. Car, lorsque nous succombons à ce rétrécissement (…), alors il nous devient plus facile de voir en l’autre un ennemi. »"


Le livre de l’intranquillité

David Djaïz, créée le 04-09-2022

"J’admire Fernando Pessoa depuis longtemps, mais je n’avais encore jamais lu ce livre dont plusieurs personnes m’avaient assuré qu’il changerait ma vie. Une espèce de journal de bord, où l’auteur prête ses propres propos à plusieurs personnages fictifs. Il y a eu une polémique autour de la réédition récente de ce livre, car outre la nouvelle traduction,ce sont en réalité trois livres de l’intranquillité, car il y a trois personnages, et non un seul. Pessoa est quelqu’un qui a consacré une énergie folle à ne pas être un homme d’action, je ne résiste pas au bonheur de vous le citer : « Le rêveur n’est pas supérieur à l’homme actif parce que le rêve serait supérieur à la réalité, la supériorité du rêveur vient de ce que rêver est beaucoup plus pratique que vivre, et que le rêveur tire de la vie un plaisir beaucoup plus varié que l’homme d’action. Pour le dire mieux et plus directement, c’est le rêveur qui est le vrai homme d’action. »"


Leila et ses frères

Béatrice Giblin, créée le 04-09-2022

"Je vous recommande ce film iranien, réalisé par Saeed Roustaee, qui avait déjà réalisé l’impressionnant « La loi de Téhéran ». Ce réalisateur, dans des conditions extrêmement difficiles (son film est censuré en Iran seulement parce qu’il a été sélectionné au festival de Cannes), nous dépeint une famille iranienne : une sœur qui a la tête sur les épaules, quatre frères vélléitaires et plutôt ratés, et un père âgé qui appartenait à une très grande famille. Il espérait donc à la mort du parrain, devenir lui-même le parrain, titre honorifique accompagné d’une charge financière, dans un milieu extrêmement précaire. "


La mémoire, l’histoire, l’oubli

Lionel Zinsou, créée le 04-09-2022

"Quand il avait 22 ou 23 ans, Emmanuel Macron était l’assistant de Paul Ricœur. Lors de son récent voyage en Afrique, le président français a fait montre de l’influence du penseur. Ses discours autour de la question de la mémoire ont profondément changé le regard que les Est-Africains portent sur la France. Il faut lire Paul Ricœur pour comprendre Emmanuel Macron. On peut aussi aller sur le site de la revue Esprit, et regarder ce que le jeune Macron écrivait à propos de l’œuvre de Ricœur. Le macronisme est sans doute un peu plus qu’une idéologie, presque une théorie. S’il y a quelque chose qui a été réussi ces 5 ou 6 dernières années entre la France et l’Afrique, ce n’est probablement pas le combat contre les djihadistes au Sahel, ou la progression de tel ou tel intérêt économique contingent ; c’est de changer complètement le regard de l’autre sur vous, ou le vôtre sur autrui. Traiter les mémoires qui s’opposent dans une Histoire qui rassemble est on ne peut plus ricœurien."