Les brèves

Cas d’écoles

Antoine Foucher, créée le 15-06-2025

"Je voudrais profiter du fait que l’on est aujourd’hui à l’École Alsacienne pour recommander le livre de son directeur, à mon sens, l’un des livres les plus éclairants sur l’histoire de l’Éducation nationale dans notre pays ; plutôt du côté de la pédagogie que des institutions. Je donne deux exemples, parce que le livre n’est pas résumable en 30 secondes. Le premier, c’est : en tant que parent, on a souvent le sentiment d’être un peu mis à l’écart par l’institution scolaire en France, surtout quand on a eu la chance d’être parent dans d’autres pays ou d’avoir été élevé dans d’autres pays. Ça vient de très loin, et de très longtemps, plusieurs siècles. Et il y a une forme de continuité entre l’institution scolaire d’aujourd’hui (qui considère les parents un peu comme des ennuyeux qui prennent trop soin de leurs enfants), l’école de la Troisième République, qui suspectait toujours les parents d’avoir peut-être voté pour l’empereur et d’être antirépublicains, et l’école des jésuites de l’Ancien Régime, qui suspectait toujours les parents d’être tentés par la Réforme. Cette continuité est extraordinairement bien montrée dans le livre. Et puis un deuxième exemple : j’ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi, dans toutes les études internationales sur le système scolaire français, il est établi depuis des décennies que les élèves français sont ceux qui ont le moins confiance en eux quand ils sortent du système scolaire. Lisez Cas d’écoles, et vous comprendrez pourquoi."


Y a-t-il un dealer dans l’avion ?

Richard Werly, créée le 15-06-2025

"Je vais terminer sur une note à la fois vertigineuse et drôle dans sa réalisation : cette série documentaire diffusée depuis mercredi dernier sur Netflix. Ce sont trois épisodes relatant l’affaire connue sous le nom Air Cocaïne. Ce jet qui était allé prendre en République dominicaine une dizaine de valises remplies de 700 kilos de cocaïne, qui a été intercepté par les forces de police dominicaines à l’aéroport. Et ensuite, il y a eu tout ce feuilleton avec les pilotes qui ont réussi à s’évader, etc. D’abord, l’affaire est rocambolesque, c’est un bon moment d’écran, c’est assez bien tourné, avec une manière de raconter les choses assez bien troussée. Mais surtout parce qu’il y a un bon choix : c’est celui d’avoir raconté cette histoire dans les yeux, et avec pour fil rouge, la justice. D’une certaine façon, la série rend hommage à Christine Saunier-Ruellan, juge que je ne connaissais pas, et qui est toujours en fonction. Parce qu’on voit une galaxie de pieds nickelés (même si certains sont très patibulaires) et elle, qui, en tant que juge d’instruction, chemine avec deux questions seulement : pourquoi et comment ? Cela montre le vertige d’une juge, dans une juridiction à Marseille qui, a priori, a des moyens pour lutter contre la grande criminalité, mais pas tant que ça, et qui se trouve face à des événements qui dépasseraient tout le monde, et qui tente de tout reconstituer méticuleusement. D’ailleurs, elle déploie en permanence devant elle une sorte de grand rouleau de papier, sur lequel elle passe au Stabilo les différents noms des protagonistes. Un bon moment de télévision, mais aussi un enseignement sur la façon dont chemine une instruction judiciaire. "



Zelensky

Philippe Meyer, créée le 01-06-2025

"Je voudrais signaler un documentaire disponible sur la plateforme d’Arte, consacré à Volodymyr Zelensky, réalisé par Yves Jeuland. On connaît les talents de Jeuland depuis Les Batailles de Paris, lors des municipales de 2001, ou encore son film sur Georges Frêche, peu avant sa mort. Il avait aussi marqué avec Il est minuit, Paris s’éveille, sur les cabarets de l’après-guerre. Ce documentaire est un portrait. Comme beaucoup, je ne m’étais intéressé à Zelensky que dans son rôle de chef de guerre, impressionné par l’énergie avec laquelle il défend son peuple, retournant parfois des situations, y compris cet obscène moment avec Trump, Vance et quelques courtisans dans le bureau ovale. Mais je ne connaissais pas le Zelensky d’avant. Arte avait diffusé la série où il incarne un président devenu chef d’État par hasard, mais je découvre ici que la troisième saison de cette série raconte sa vraie campagne électorale. Ce que ce documentaire nous montre bien, c’est qu’avant d’être ce héros, Zelensky était un personnage entre Patrick Sébastien et Patrick Sabatier. Pendant la campagne, il bouscule tous les codes. Poroshenko, sûr de gagner, le considère comme un amuseur. Zelensky refuse tout débat avant le premier tour, puis impose que le débat d’entre-deux tours se tienne dans un stade de 80.000 personnes. Et là, on se retrouve dans une ambiance d’émission de variétés. Je n’en tire pas de conclusion définitive, sinon l’espoir que ce ne soit pas un nouveau modèle politique appelé à se généraliser. Et j’espère que ni Sabatier ni Sébastien ne brigueront l’Élysée. C’est un excellent documentaire, on apprend beaucoup."


L’inventaire des rêves

Marc-Olivier Padis, créée le 01-06-2025

"Je recommande le dernier roman de Chimamanda Ngozi Adichie, publié chez Gallimard. On attendait ce livre depuis douze ans, après le succès d’Americanah, L’Hibiscus pourpre et L’Autre moitié du soleil. Il n’y a pas de véritable intrigue, pas de dénouement ni de rebondissements. On suit trois femmes, entre le Nigeria et les États-Unis, avec des carrières brillantes et des vies sentimentales plus chaotiques. Elles sont à un âge où la maternité devient centrale : faut-il adopter ? Est-ce trop tard ? Trouveront-elles le bon compagnon ? Avec en toile de fond, la pression des familles africaines pour fonder une famille. Le roman est construit autour de dialogues, de portraits, de discussions intimes. Un quatrième personnage entre en scène, Kadiatou, employée de maison de l’une des héroïnes. Elle vit une histoire proche de celle de Nafissatou Diallo, que l’on associe à l’affaire Dominique Strauss-Kahn. Cela donne une dimension supplémentaire, avec quatre portraits de femmes et quatre récits croisés sur les relations entre l’Afrique et l’Occident, la mobilité des individus, les désirs, les tensions. Très réussi."


La guerre mondiale n’aura pas lieu : les raisons géopolitiques d’espérer

Béatrice Giblin, créée le 01-06-2025

"Je vous conseille le dernier ouvrage de Frédéric Encel. Dans un contexte saturé de discours apocalyptiques, portés par divers « experts » en géopolitique annonçant une guerre mondiale imminente, ce livre apporte un éclairage précieux. Il ne nie pas la persistance des conflits, mais il démontre, de manière claire et pédagogique, pourquoi nous ne sommes pas à la veille d’une troisième guerre mondiale. C’est un véritable travail d’analyse, rigoureux, sans emballement émotionnel. Il examine en détail plusieurs situations géopolitiques, et s’appuie sur un appareil cartographique (en noir et blanc, parfois un peu difficile à lire), utile pour comprendre les dynamiques en jeu. Dans cette période de grande incertitude, je trouve salutaire de pouvoir s’appuyer sur un raisonnement solide : cela redonne une boussole."


À propos des débats parlementaires autour de la loi Duplomb

Jean-Louis Bourlanges, créée le 01-06-2025

"Je voulais dire un mot sur la dérive de l’institution parlementaire française. Ce qui a été fait sur la fin de vie est exemplaire, et M. Falorni, avec qui je suis en désaccord sur le fond, a mené le débat avec rigueur et intelligence. Mais cela contraste fortement avec ce qui s’est passé autour de la controverse entre défenseurs des abeilles et betteraviers, au sujet de la réintroduction de produits interdits. On a assisté à un déferlement d’amendements qui ont bloqué le débat. La majorité gouvernementale, souhaitant avancer, a fini par voter une motion de rejet de son propre texte — une démarche incompréhensible pour le public. Certains, notamment les écologistes et LFI, y ont vu un mépris du débat. Mais ce n’est pas ce qui s’est réellement passé : le débat avait été paralysé. Je ne comprends pas que des forces politiques, à moins que d’être fondamentalement hostiles au parlementarisme, comme semble l’être LFI, se prêtent à de telles obstructions. Cela ne supprime pas l’expression démocratique : le Sénat reprendra le texte, le modifiera, une commission mixte paritaire cherchera un compromis. Et si ce compromis ne convient pas à l’Assemblée, elle pourra le rejeter. Je le dis à mes anciens collègues, en particulier à ceux de LFI : cessez d’empoisonner délibérément le débat parlementaire. C’est ce que la démocratie a de plus noble, à condition qu’elle se déroule dans le respect et la dignité."


Paris noir

Lucile Schmid, créée le 01-06-2025

"J’ai adoré cette exposition du Centre Pompidou. Sous-titrée Circulations artistiques et lutte anticoloniale 1950-2000, elle affiche une ambition immense. C’est une exposition engagée, qui montre à quel point ces artistes noirs faisaient partie d’un mouvement global, aux côtés d’écrivains, de poètes, d’hommes politiques comme Frantz Fanon. Elle réserve de vraies découvertes. Pour ma part, j’ai été frappée par Beaufort Delaney, un artiste américain exilé à Paris, comme beaucoup d’autres, car être un artiste noir aux États-Unis dans les années 1950 était quasiment impossible. À Paris, ce n’était pas simple non plus, mais leur expression y trouvait plus de place. Delaney, avec ses portraits et ses œuvres abstraites, m’a éblouie. J’ai aussi beaucoup aimé Avel de Knight, dont les dessins de jeunes hommes sont saisissants. Souvent, leur homosexualité s’ajoutait à leur marginalité, ce qui rend leur trajectoire encore plus poignante. Ces artistes restaient à Paris, y vivaient, y travaillaient, mais sans pour autant devenir des figures parisiennes majeures. Il y a là un enjeu de reconnaissance artistique et politique. Mon seul bémol : l’accrochage thématique, qui oblige à refaire tout le parcours si l’on veut revoir certaines œuvres. Mais vraiment, c’est une exposition qui fera date."


L’ours et le dragon

Philippe Meyer, créée le 25-05-2025

"Je voudrais recommander ce livre de Sylvie Bermann, qui porte sur les rapports de la Russie et de la Chine pays dans lesquels Sylvie Bermann a représenté la France. Ces rapports ont une histoire longue dont l'autrice retrace ce qui peut être utile à une compréhension de leur état actuel, ils ont aussi une histoire récente, marquée par une ambiguïté derrière la façade d'une adhésion commune au communisme. Après avoir été le grand frère est même le tuteur de la Chine, la Russie se retrouve aujourd'hui dans une situation économique et industrielle très inférieure à celle de son ancienne protégée. Que leur reste-t-il de vision et d'intérêt partagés ? Comment prétendent-elles l'une et l'autre poursuivre leur rêve impérial et quels jeux jouent-elles avec l'autre empire, celui que conduit désormais Donald Trump ?"


La maison de tante Léonie

Lionel Zinsou, créée le 25-05-2025

"Je vous conseille une promenade, pour aller voir la vraie réalité culturelle et rurale française. Dans le Perche, en Orne-et-Loir, un musée Proust a ouvert ses portes en 2024. Ceux d’entre vous qui se sont longtemps couchés de bonne heure, auront beaucoup de bonheur à aller à Combray. Comme Combray n’existe pas, allez à Illiers, qui s’appelle désormais Illiers-Combray. Vous pouvez visiter la maison restaurée par Stéphane Bern, mais aussi la maison de Tante Léonie. Il y a plusieurs boulangers (qui vendent évidemment des madeleines), si vous souhaitez retrouver un certain goût du souvenir. Vous y trouverez des éléments sur tous les peintres et écrivains de l’époque, dans une ravissante maison, avec un ravissant jardin. Je vous recommande vivement ce musée, encore un peu méconnu, et créé par le conseil départemental en 2024."


La villa Cavrois

Béatrice Giblin, créée le 25-05-2025

"Restons dans les promenades, puisque c’est la saison. Moi, je voudrais vous parler de la Villa Cavrois, située à Croix, dans la métropole lilloise. C’est une maison conçue par l’architecte Robert Mallet-Stevens pour la famille Cavrois, grands industriels du textile. Elle a été construite entre 1929 et 1932, et est un projet architectural tout à fait remarquable, parce qu’il est pensé dans sa totalité. Mallet-Stevens a conçu l’architecture pour une famille nombreuse, les Cavrois avaient sept enfants et de très gros moyens, et il a élaboré cette architecture si caractéristique de son style. On en retrouve quelques autres exemples à Paris et en Île-de-France, mais aussi à la Villa Noailles dans le Var. Ce qui rend cette maison particulièrement intéressante, c’est que Mallet-Stevens en a également dessiné tout le mobilier. C’est une conception vraiment globale, aussi bien architecturale que décorative. La villa a connu un destin assez tragique. Avant la mort de Mme Cavrois, un promoteur immobilier a voulu racheter les lieux. Rocard l’a fait inscrire au titre des Monuments historiques en 1990. Comme le promoteur n’a pas pu lotir le parc, il a laissé la villa à l’abandon. Elle a été squattée, les meubles ont été vendus aux quatre coi s du monde. Puis l’État a décidé de la restaurer. Elle est aujourd’hui ouverte au public, et c’est vraiment un chef-d’œuvre. Allez-y !"


Europes : une histoire personnelle

Jean-Louis Bourlanges, créée le 25-05-2025

"Je voudrais signaler ce livre d’un éminent universitaire anglais, Timothy Garton Ash. L’auteur est né en 1955, il appartient à la même génération que moi, porte en lui toute l’histoire des soixante-dix dernières années, et il vit une double souffrance. D’un côté, il est britannique et profondément pro-européen, ce que son père n’était pas. Conservateur, très réservé vis-à-vis de la construction européenne, le père estimait appartenir à un pays qui, bien qu’européen par l’histoire et par la géographie, ne se vivait pas comme tel. Le Brexit a donc été, pour Timothy Garton Ash, un drame personnel, une immense douleur. En même temps, en tant qu’Européen convaincu, il ressent une autre forme de souffrance, que nous partageons tous aujourd’hui : l’extrême difficulté qu’a l’Europe — et je ne parle pas seulement de l’Union européenne, mais bien des peuples européens dans leur ensemble — à survivre, à exister, à peser d’un poids réel dans un monde qui tend à ignorer, voire à marginaliser notre continent. C’est cette double douleur qui traverse son livre. Mais ce qui le distingue, par exemple, de quelqu’un comme moi, c’est que moi, quand je parle d’Europe, je parle des institutions, de la place de la Commission … des sujets qui, pour tout dire, n’intéressent pas grand monde. Tandis que lui adopte une approche profondément personnelle. Il livre des témoignages. Il a tout vu, il est allé partout : en Pologne, dans les Balkans, dans tous les pays concernés. Il rencontre des gens, raconte ce qu’il observe. C’est une Europe charnelle. Le livre témoigne de cette formidable expérience européenne, dont je crains, hélas, qu’elle ne soit aujourd’hui sérieusement menacée par la violence du monde."